CH6: Les argiles

Géologie des argiles Chapitre 6 Environnements sédimentaires

Chapitre 6 – Transport des argiles dans les environnements continentaux et marins

Introduction

Vu leur taille, les argiles vont rester longtemps en suspension et vont donc être transportées en suspension préférentiellement par rapport aux autres minéraux des fractions plus grossières (Fig. 6.1). On constate un enrichissement progressif des rivières vers les océans ou les lacs. La figure 6.2. illustre les modes de transport des matériaux argileux à l’océan. Nous allons étudier les assemblages argileux des minéraux typiques des apports éoliens, des particules en suspension dans les rivières, estuaires, lacs puis des bassins océaniques.

argile fraction

Figure 6.1 – Transport des argiles et accumulation dans les lacs et les océans (Velde, 1995).

A. Domaine continental

6.1. Apports éoliens

Les poussières éoliennes collectées à proximité des déserts contiennent généralement du quartz abondant en association avec des minéraux argileux ou non. Le spectre minéralogique est large et reflète la compositions des régions sources (Tab. 6.1.).

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Figure 6.2 – Modes de transport des argiles dans les océans (Velde, 1995).

Table 6.1 – Assemblages minéralogiques des aérosols (Weaver, 1989).

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La figure 6.3 présente les résultats d’une étude de la composition minéralogique d’une trentaine d’échantillons de poussières collectées éoliennes dans le Sahara (mai 1974, 2000m d’altitude, distance de 500 km). Paquet et al. (1977) observent l’abondance des minéraux argileux (>25%) avec des espèces très variées (illite, chlorite, interstratifiés I-S et C-S, smectite, kaolinite, palygorskite). Les minéraux se distribuent en 4 groupes reflétant l’importance des sources locales et l’érosion de sols et sédiments non indurés. L’importance des sources locales diminue avec la distance et avec les tempêtes qui homogénéisent les produits issus des différentes sources.

Apports éoliens

La signatures des poussières éoliennes récoltées au-dessus de différents bassins océaniques est présentée dans le tabeau 6.2. Pour l’Océan Atlantique, de nombreuses données sont disponibles. L’illite et la kaolinite sont les 2 minéraux argileux les plus abondants. Globalement, il existe peu de variations quantitatives entre les données suite à

Figure 6.3 - Assemblages minéralogiques des poussières sahariennes (Chamley, 1989).

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l’homogénéisation lorsque la distance de transport augmente. En ce qui concerne le Pacifique, les données sont peu abondantes. La faible concentration des poussières dans chaque échantillon récolté rend contestable les estimations. Cependant l’illite reste le minéral argileux le plus important. Des variations minéralogiques assez importantes existent en fonction des latitudes. Cette zonation reflète les compositions contrastées des régions sources et la distribution des courants atmosphériques. Table 6.2 –-Assemblages minéralogiques des aérosols océaniques -Chamley, 1989(italiques: minéraux argileux exprimés en % relatifs, total des argiles normalisé à 100%; quartz exprimé en % pondéral de l’échantillon total)

Le transport des particules varie selon la vitesse de l’agent de transport mais aussi du diamètre des particules (Fig. 6.4). Pour des particules < 80 microns, un transport direct est quasi impossible car les petites particules deviennent aérodynamiquement lisses et les forces électrostatiques sont trop fortes. Par conséquent, les argiles sont entraînées suite à l’abrasion et à la fragmentation de particules plus larges pendant le transport ou suite à l’impact de grains plus grossiers. Les tempêtes de désert transportent du matériel jusqu’à 3km d’altitude sur des distances de plusieurs milliers de kilomètres.

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Figure 6.4 – Vitesse du vent requise pour le transport de particules selon leur granulométrie

(Velde, 1995).

Exemples de distribution de minéraux argileux

La figure 6.5 montre la distribution de la kaolinite dans les sédiments de surface au large de l’Australie. Dans le Pacifique Sud, il existe une bande d’enrichissement en quartz, illite et kaolinite qui s’étend vers le SE depuis l’Australie vers la Nouvelle-Zélande. Cette distribution se corrèle parfaitement avec la trajectoire des poussières formées dans les déserts australiens. Dans l’Océan Indien, il y a également une zone enrichie en kaolinite vers l’ouest suite au transport par les vents depuis les régions désertiques.

Figure 6.5 –-Abondance relative de la kaolinite dans les sédiments de surfaceau large de l’Australie -Chamley, 1989

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La figure 6.6 présente la carte de distribution des argiles fibreuses. Dans les bassins océaniques, la Mer d’Arabie par exemple, l’abondance de la palygorskite reflète le trajet des vents associés à la mousson.

Figure 6.6 – Distribution des argiles fibreuses en domaine continental et océanique (Velde, 1995).

6.2. Apports fluviatiles

Les études dans les années 50 ont démontré la bonne correspondance entre la composition des sédiments de rivières et les formations géologiques et pédologiques adjacentes soumises à l’érosion. L’analyse des particules en suspension, dans les années 80, a ensuite confirmé le parallélisme avec la minéralogie des bassins versants. De nombreuses études ont été menées pour caractériser la composition minéralogique moyenne des particules en suspension des grandes rivières (Fig. 6.7). Globalement, les argiles constituent le composant principal des particules en suspension et reflètent principalement la composition des sols du bassin versant. L’illite est abondante dans les rivières des hautes latitudes (e.g., Mackenzie, Saint-Laurent), dans des régions drainant des zones montagneuses (e.g., Indus, Gange, Brahmapoutre) ou très arides (Orange). La kaolinite est importante dans les rivières des régions tropicales où la chlorite est généralement absente (Niger, Congo, Nil, Orange). La smectite se rencontre dans

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des rivières des zones tropicales et subtropicales (Caroni, Niger, Nil, Orange). En plus de ces tendances générales, on constate parfois une certaine saisonnalité, par exemple un changement minéralogique suite à une tempête.

Figure 6.7–-Distribution des minéraux dans la fraction particulairede différentes rivières –Weaver, 1989Apports par les rivières

En plus de l’influence des conditions climatiques ou topographiques (Fig. 6.8), la composition minéralogique des apports fluviatiles est fortement influencée par la taille des particules (Fig. 6.9): les minéraux argileux se concentrent dans les fractions fines. Parmi les argiles, la forme des particules et la distribution des charges de surface jouent sur la distribution minéralogique. La kaolinite sédimente généralement plus rapidement que les particules de smectites de plus petite taille en général. La distribution des argiles dans les fleuves Mississippi et Amazone est comparée à la figure 6.9. Pour le Mississippi par exemple (Fig. 6.10), la composition minéralogique moyenne du fleuve reflète le mélange des différents apports, avec une contribution relative à la charge en suspension de chacun des affluents.

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Figure 6.8 – Distribution minéralogique et granulométrique de la matière particulaire collectée dans différentes rivières : Influence du relief et du climat (Weaver, 1989).

Figure 6.9 – Distribution minéralogique et granulométrique de la matière particulaire collectée dans l’Amazone et le Mississippi (Chamley, 1989).

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Figure 6.10 – Assemblages minéralogiques de la matière

particulaire dans les affluents du Mississippi (Weaver, 1989).

6.3. Sédimentation lacustre

Les sédiments lacustres comprennent la majorité des minéraux, non argileux et argileux, issus des différents types de roches. Les illites et les smectites sont les minéraux argileux dominants, accompagnés éventuellement de chlorite, kaolinite et/ou palygorskite selon l’environnement. Généralement il existe une correspondance entre la composition des sédiments lacustres et la composition minéralogique moyenne des roches et sols des bassins versants. La minéralogie est très différente selon qu’il s’agit d’un lac salé ou non.

Environnements salins

Les lacs salés se développe uniquement dans des conditions exceptionnelles, lié à une évaporation importante ou à des apports d’eau salée. Leur répartition est inégale, ces lacs pouvant être importants dans certaines régions du monde (Ouest USA, Est Afrique). Les sédiments lacustres comprennent des assemblages argileux généralement variés, incluant des minéraux détritiques et authigènes.

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Tab. 6.3 –-Minéralogie de la fraction argileuse dans les sédiments lacustres: Exemple du lac Kineret-Chamley, 1989

Le tableau 6.3 donne les assemblages minéralogiques de la fraction argileuse des sédiments d’un lac israélien. L’association des smectites, kaolinite et palygorskite reflète la composition des roches et des sols du bassin versant. Les smectites, par exemple, sont issues de l’altération des roches basaltiques et des profils pédologiques associés. Ce lac se caractérise pas peu de minéraux authigènes. Le lac Chad (Fig. 6.11a, par contre, se distingue par l’abondance de minéraux authigènes (e. g., smectite Mg). Les apports des principales rivières au sud du lac ont une composition minéralogique différentes de la majorité des sédiments du lac. Les apports fluviatiles comprennent de la kaolinite dominante avec de l’illite, du quartz et des feldspaths. Cet assemblage reflète les apports détritiques du substrat précambrien. Les sédiments de surface du lac montre une zonation de la composition des smectites. Des smectites Fe-Al, ayant la même composition que les vertisols adjacents, dominent dans la partie sud du lac. Vers le nord, les conditions d’évaporation sont plus importantes et ce sont des smectites Mg (stevensite) qui dominent. Des nontronites sont observées au niveau du delta de la rivière Chari. La figure 6.11b présente la position de la composition des eaux de la rivière et du lac dans un diagramme d’équilibre.

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Figure 6.11a –-Composition des smectites dans les sédiments du lac Chad, Afrique Centrale -Chamley, 1989

Figure 6.11b –-Diagramme de stabilité et compositions des smectites des sédiments du Lac Chad-Chamley, 1989

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Environnements non salins

Dans les lacs récents, l’association minérale reflète principalement les conditions d’altération (climat, relief, tectonique..) du bassin versant (cf. Chapitre 5). Les argiles lacustres sont donc utilisées comme un outil paléoclimatique. Notons qu’il existe parfois un mimétisme de composition entre les minéraux formés dans les sols et les minéraux authigènes du lac. Cela complique l’identification de l’origine des minéraux argileux. Il faut généralement une étude complète des assemblages minéralogiques des bassins versants pour interpréter les assemblages lacustres (cf. projet ENSO-Chili, CONTINENT-Baikal).

B. Du continent à l’océan

Estuaires et delta

Les estuaires constituent une transition entre le continent et l’océan. Les argiles qui constituent la majorité des particules en suspension des rivières vont donc passer d’un environnement pauvre en ions dissous à un environnement plus concentré suite au changement de salinité, parallèlement au pH. Les argiles vont être particulièrement sensibles vu leurs propriétés de surface (cf. Chapitre 4). La figure 6.12a montre la distribution des minéraux argileux dans les sédiments du delta de la Guadalupe vers le Golfe du Mexique (USA). La smectite tend à diminuer vers le large alors que les chlorites et les illites augmentent. Grim & Johns (1954) interprètent ce changement par la transformation des smectites lors de leur contact avec des environnements salins.

Figure 6.12a –Variation de la composition des minéraux argileux selon la position par rapport à l’embouchure de la Rivière Guadalupe , Golfe du Mexique –-Weaver, 1989Rôle des estuaires

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En 1972, Morton a élargi cette étude à plus de 80 échantillons prélevés selon un transect du delta vers le golfe (Fig. 6.12b) : il n’y a pas de différence entre l’abondance des smectites, illite et kaolinite entre les 2 environnements, la chlorite n’est pas observée au niveau du delta. La similarité dans l’assemblage de la rivière et de la baie ainsi que l’absence locale de chlorite démontre que l’assemblage minéralogique dans l’environnement marin est le contrôle dominant des apports détritiques et ne résulte pas de modification chimique in situ. La distribution s’explique plutôt par un processus de sédimentation différentielle.

Figure 6.12b –Variation de la composition des minéraux argileux selon la position par rapport à l’embouchure de la Rivière Guadalupe , Golfe du Mexique –-Chamley, 1989Zone étudiée par Grim & Johns, 1954

Des expériences ont montré qu’à la transition rivière/océan, il pouvait se produire un transport et une sédimentation sélectifs des minéraux argileux. Whitehouse & Carter (1958) ont observé la sédimentation préférentielle de la kaolinite et de l’illite par rapport à la smectite dans des eaux de faible salinité où les argiles ont tendance à flocculer suite à l’adsorption de cations. Les figures 6.13a et b illustrent la répartition des charges à proximité de la surface des argiles selon la concentration en cations des eaux. Au niveau d’un estuaire, l’illite et la kaolinite vont sédimenter tandis que la smectite aura tendance à rester en solution. Le processus de sédimentation différentielle dépend de nombreux paramètres: pH, T°, turbulence des eaux, % matière organique, concentration en ions dissous…En moyenne, selon les

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expériences menées par Whitehouse et al. (1960) sur des suspension mono-minérale et sans déplacement, le taux de sédimentation pour la smectite est de 1.3m/j ; 11.8m pour la kaolinite et 15.8m pour l’illite pour une température de 26°C et une salinité de 18/1000. Globalement la smectite sédimente moins rapidement que les autres argiles suite à ses propriétés de taille, forme et d’interaction avec l’eau.

Figure 6.13a – Floculation des argiles (Velde, 1995). Figure 6.13b –Flocculation des argiles –-Velde, 1995

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De nombreuses études ont par la suite confirmé le processus de sédimentation différentielle dans les environnements estuariens. Les figures 6.14, 6.15 et 6.16 présentent la distribution des minéraux argileux selon des transects de l’estuaire vers l’océan pour différents fleuves (Loire en France, Guadalquivir en Espagne, St James, aux USA).

Figure 6.14 –Sédimentation différentielle des argiles: Exemple de l’Estuaire de la Loire, France –-Chamley, 1989

Figure 6.15–Sédimentation différentielle des argiles: Exemple de l’Estuaire du Guadalquivir, Espagne -Chamley, 1989

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Figure 6.16 –Sédimentation différentielle des argiles: Exemple de l’estuaire de la rivière St James , USA-Chamley, 1989

C. Apports à l’océan

Introduction

Globalement, on observe une variation granulométrique et minéralogique de la côte vers le large (Fig. 6.17) : la proportion d’argile dans le sédiment augmente vers le large et l’assemblage minéralogique évolue suite au processus de sédimentation différentielle (i.e., la kaolinite sédimente d’abord puis illite, chlorite, smectite et palygorskite). Peu d’études ont tenté d’expliquer le mécanismes détaillé responsable de la sédimentation différentielle des minéraux argileux dans le milieu marin. Le mécanisme de sédimentation par floculation sélective est le plus fréquemment cité, lié aux nombreux travaux de Whitehouse & McCarter (1958) et Whitehouse et al. (1960). Les évidences de floculation ne concernent que les environnements estuariens.

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Figure 6.17a –Accumulation sédimentaire et classement des sédiments à l’embouchure d’une rivière -WeaverApports à l’océan

Figure 6.17b –Variation latérale de la minéralogie des argiles selon la distance de transport –Eslinger & Peaver, 1988

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Gibbs en 1977 a étudié les facteurs contrôlant la ségrégation de minéraux argileux en milieu marin dans l’Atlantique ouest équatorial au niveau de l’embouchure de l’Amazone, sur une distance de 1400km (Fig. 6.18). De l’embouchure vers le NW le long de la côte, la smectite évolue de 27 à 40% dans la fraction argileuse, la kaolinite diminue légèrement de 36 à 32% et l’illite chute de 28 à 18%. Ces tendances sont parallèles à la côte mais il existe une tendance similaire à travers la plateforme.

Gibbs a envisagé 3 causes pour expliquer les variations minéralogiques observées.

(1) un processus de transformation chimique

(2) un processus de sédimentation différentielle

(3) une ségrégation physique des particules

Le premier processus est trop lent (> 5 ans) et n’est pas confirmé par des différences entre les sédiments récents et plus anciens. De plus, ce processus conduirait à la transformation des vermiculites et chlorites en illites, des smectites en illite et chlorites alors que l’on observe plutôt une augmentation des smectites et une diminution des illites. L’augmentation de la smectite vers le large pourrait s’expliquer par la sédimentation différentielle.

Figure 6.18 –Etude de la ségrégation des argiles en milieu marin au large de l’Amazone -Weaver, 1989

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Cependant illite et kaolinite floculent rapidement dès qu’il se produit un changement de salinité de 2/1000, elles sédimentent donc rapidement dans des eaux légèrement salées. La smectite sédimente plus lentement mais elle aura floculé à quelques dizaines de kilomètres de l’embouchure où la salinité approche la valeur de l’eau de mer. Gibbs a calculé l’assemblage théorique des sédiments en appliquant les vitesses de sédimentation déterminées par Whitehouse pour différentes salinités dans le delta de l’Amazone. ses résultats indiquent un dépôt rapide des illites et kaolinites à proximité de l’embouchure et un assemblage quasi pur en smectite en aval. Ce schéma est très différent des observations. Même si il existe un biais lié à l’extrapolation de données expérimentales à des conditions naturelles plus complexes (turbulence, mélange minéralogique..), la différence entre le modèle théorique et les observations implique que la floculation ne peut à elle-seule expliquer la ségrégation minéralogique observée. Par conséquent, Gibbs envisage une influence de la ségrégation des particules du à leur taille : les particules les plus fines (i.e., smectite 0.1 à 0.9 microns, 0.4 de moyenne dans l’Amazone) seraient transportées plus loin par rapport aux particules plus grossières (illite: 0.4-80 microns, moyenne 2 à 4 microns; kaolinite : 0.4-10 microns, moyenne 1-2 microns). Gibbs a testé cette hypothèse en mesurant la surface sous la courbe de distribution pour chaque espèce argileuse et en calculant un assemblage minéralogique moyen pour une gamme granulométrique (courbe en traits sur Fig. 6.18b). Il existe une bonne correspondance entre la composition actuelle des sédiments et la composition prédite par le modèle. De plus, Gibbs a également réalisé des essais de ségrégation de suspension de l’Amazone mise à décanter dans un bècher : ces simulations confirment les observations. En conclusion, la ségrégation physique semble le mécanisme le mieux adapté pour expliquer la différenciation minéralogique dans l’Atlantique Ouest. Ceci ne signifie pas que dans tous les cas c’est le mécanisme dominant. Il faudrait répéter l’étude de Gibbs pour d’autres régions du globe avec d’autres assemblages minéralogiques, des conditions hydro-dynamiques différentes…Enfin, des observations au microscope électronique à balayage ont mis en évidence l’existence de particules de kaolinite beaucoup plus petites que les smectites. Ceci implique que d’autres propriétés que la taille interviennent (e.g., forme, charge électrostatique).

Distribution des argiles en milieu océanique

Les données concernant la distribution des minéraux argileux dans les océans ont été acquises par différents auteurs (Biscaye, 1965 ; Griffin et al., 1968, Rateev et al., 1968). Ces données ont été compilées et synthétisées par Window (1976) sous la forme de carte de

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distribution (Fig. 6.19). Les données sont moyennées pour les sédiments de surface des grands bassins océaniques (Tab. 6.4). Elles constituent une référence à large échelle même si il existe de nombreuses imprécisions locales.

Table 6.4 –Composition minéralogique moyenne des sédiments de surface dansdifférents bassins océaniques–-Chamley, 1989

Parmi les minéraux argileux, les illites et les smectites sont les plus répandues, elles peuvent représenter jusqu’à 50 à 70% de la fraction argileuse. Chlorite et kaolinite sont moins abondantes, elles dépassent exceptionnellement 50% et sont fréquemment inférieures à 10.

- La kaolinite est un minéral abondant dans les sols des régions intertropicales. La distribution océanique de la kaolinite reflète un contrôle climatique dominant. L’abondance de la kaolinite augmente vers l’équateur dans tous les bassins océaniques et montre un contrôle par l’intensité de l’hydrolyse.

- La chlorite montre une augmentation vers les hautes latitudes, elle est principalement issue de l’érosion physique des roches magmatiques et métamorphiques en conditions d’altération chimique limitée. La chlorite varie souvent en antagonisme avec la kaolinite.

- L’abondance de l’illite augmente vers les hautes latitudes parallèlement à la chlorite. Sa distribution reflète le ralentissement de l’hydrolyse et l’augmentation de l’altération physique.

- La distribution des minéraux fibreux reflète souvent la trajectoires des courants atmosphériques (e.g., Mer d’Arabie).

- La distribution de la smectite est plus confuse, liée à leur double origine (altération, authigenèse). Ceci démontre que le contrôle climatique peut être accessoire par rapport à d’autres facteurs (e.g., apports volcaniques).

143 Géologie des argiles Chapitre 6 Environnements sédimentaires

Illitesmectitekaolinitechlorite

Figure 6.19 – Distribution des minéraux argileux dans les sédiments de surface des différents bassins océaniques – d’après Windom, 1976 (in Velde, 1995).

144 Géologie des argiles Chapitre 6 Environnements sédimentaires

Globalement, les apports détritiques dominent les apports minéralogiques à la sédimentation océanique. La distribution des argiles montre une zonation latitudinale, cette distribution zonale reflète la distribution des zones d’altération chimique sur les continents. Les argiles peuvent être divisées en 2 groupes : (1) les minéraux des climats froids et tempérés, i.e., illite et chlorite, qui diminuent vers l’équateur; (2) les minéraux des climats tropicaux et équatoriaux, i.e., kaolinite, une partie des smectites. Par conséquent les minéraux argileux des sédiments marins reflètent les conditions d’hydrolyse dans le bassin versant.

Le tableau 6.5 présente une compilation des données sur la distribution minéralogique et granulométrique du matériel sédimentaire apporté à l’océan. Les résultats montre la dominance des argiles (67 %) sur les silts (26 %) et les sables (7 %). En considérant les surfaces différentes correspondant aux zones climatiques, les différences de drainage et la composition minéralogique, on peut déterminer la contribution de chaque zone climatique dans l’apport à l’océan pour différentes fractions granulométriques. Les fractions silto-sableuses sont majoritairement issues des régions équatoriales humides : 3.8 millions de tonnes (soit 57 % de la masse délivrée à l’océan). La fraction argileuse représente 15.2 millions de tonnes (soit > 90 %). Ces données montrent que la quantité et la granulométrie du matériel apporté à l’océan changent d’une zone climatique à une autre mais aussi que les assemblages minéralogiques peuvent changer.

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Table 6.5a – matériel sédimentaire apporté à l’océan : minéralogie, flux annuel Lisitzin, 1996.

Table 6.5b -Matériel sédimentaire apporté à l’océan: granulométrie -Lisitzin, 1996

146 Géologie des argiles Chapitre 6 Environnements sédimentaires

Cependant des études récentes montrent de nombreuses exceptions, ce qui montre que le climat n’est pas le seul facteur. La pétrographie de la région source devient le paramètre essentiel lorsque l’altération chimique est faible. Ceci explique pourquoi la kaolinite, les smectites et autres minéraux de basse latitude se retrouvent dans les bassins arctiques et péri-antarctiques. De plus les courants océaniques interviennent dans la distribution des minéraux argileux des sédiments océaniques et altèrent la zonation climatique idéale. Des apports advectifs longues distances via les vents ou les courants marins peuvent également perturber le schéma idéal. Les apports terrigènes peuvent être complétés ou remplacés par des formations authigènes dans des environnements marqués par une activité hydrothermale et /ou volcanique ainsi que dans des domaines de faibles apports continentaux.

En conclusion, des études complémentaires sont souvent nécessaires pour interpréter les assemblages argileux complexes des sédiments marins. Par exemple, les signatures isotopiques des argiles peuvent permettre d’identifier les régions sources (e.g., Fig. 6.20).

Figure 6.20 -Composition isotopique des argiles dans les sédiments récents de l’Atlantique Nord –Clauer & Chaudhuri, 1995

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25/06/2009
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