CH3: Les argiles
Géologie des argiles Chapitre 3 Classification
Chapitre 3 - Nomenclature et classificationIntroduction
Comme nous l'avons vu dans le chapitre introductif, les minéraux argileux sont principalement des phyllosilicates, c-à-d qu'ils sont constitués par un empilement de feuillets. La
figure 3.1 explicite la terminologie utilisée pour définir la structure des argiles. On distingue 4 niveaux d'organisation:- les plans sont constitués par les atomes;
- les feuillets, tétraédriques ou octaédriques, sont formés par une combinaison de plans;
- les couches correspondent à des combinaison de feuillets;
- le cristal résulte de l'empilement de plusieurs couches.
Figure 3.1 – Structure générale des phyllosilicates (White, 1999).
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Eléments structuraux
Les silicates constituent le modèle de base. Ils sont formés par un agencement de tétraèdres de SiO4- dans lesquels un atome de Si est entouré de 4 atomes d'O
(Fig. 3.2a). Les tétraèdres s'agencent en se partageant les oxygènes en maille hexagonales (Fig. 3.2b). Les hexagones s'agencent et forment une double chaîne. Dans les phyllosilicates, les tétraèdres forment des feuillets composés de 6 tétraèdres. Les O non partagés pointent tous dans la même direction. La formule de base est Si4O104-. La charge négative est compensée par accommodation de cations de petite taille Si, Al et rarement Fe3+ (Fig. 3.2c).Les tétraèdres s'associent à des feuillets octaédriques composés d'un cation central et 6 OH- (Fig. 3.2d). Cette configuration permet d'accommoder des cations plus larges Al3+, Fe3+, Mg2+, Fe2+ mais pas Ca2+, Na+, K+ (trop larges). Le feuillet octaédrique est constitué de 2 plans d'OH ou O, il est couché sur une de ses faces. Il peut exister seul. Dans la brucite (
Fig. 3.2e), Mg(OH)6, toutes les positions cationiques sont occupées (3/3 = " minéral trioctaédrique "). Dans la gibbsite , Al2(OH)6, par contre 2 positions sur 3 sont occupées (i.e., " minéral dioctaédrique ").Figure 3.2abc – Eléments structuraux : les tétraèdres (Eslinger & Peaver, 1988).
Les tétraèdres s'agencent avec les octaèdres pour constituer des couches (
Fig. 3.3, 3.4). Les couches peuvent être neutres ou chargées négativement, compensée par des actions qui se logent dans l'espace entre les couches (espace interfoliaire). La charge de la couche dépend des substitutions de cations dans les feuillets T ou O.56 Géologie des argiles Chapitre 3 Classification
Figure 3.2de – Eléments structuraux : les octaèdres (Eslinger & Peaver, 1988).
Fig. 3.3a – Agencements des tétraèdres et des octaèdres (Moore & Reynolds, 1989).
Figure 3.3b – Agencements des tétraèdres et des octaèdres en feuillets 1/1
(Eslinger& Peaver, 1988 ; Weaver, 1989).
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Figure 3.4 – Exemple de minéral argileux à structure 1/1 : kaolinite (White, 1999).
Critères de classification
Les principaux critères de classification sont basés sur les paramètres suivants
(Tab.3.1a):- la combinaison de feuillets (T/O ou 1/1; T/O/T ou 2/1; T/O/T/O ou 2/1/1);
- le type de cations dans l'octaèdre;
- la charge de la couche;
- le type de matériel dans l'espace interfoliaire (cations, molécules d'eau,...);
Table 3.1a – Critères de classification des phyllosilicates (Eslinger & Peaver, 1988).
Quelques critères secondaires sont le polytypisme (ou mode d'empilement), la composition chimique, le type d'espèces argileuses et le mode d'empilement pour les interstratifiés.
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Le
tableau 3.1.b résume la classification basée sur les 4 premiers critères adoptée par l'AIPEA (Association Internationale Pour l'Etude des Argiles).Tab. 3.1b. Classification des phyllosilicatesrecommandée par l'AIPEA –Eslinger& Peaver, 1988
A. Classification des minéraux argileux simples
Minéraux 1/1
- Groupe des kaolinite-serpentine
Ce groupe de minéraux combinant un feuillet T et un feuillet O (minéraux T/O ou 1/1) se caractérise par peu de substitutions cationiques, à l'exception de Fe3+ (
Tab. 3.2).Dans ce groupe, dickite et nacrite constituent un cas particulier. Ces minéraux sont des polytypes de la kaolinite
(Fig. 3.4). Ils se caractérisent par un mode d'empilement d'une même couche différent, fonction la position de la charge vacante. Leur stabilité dépend de la température. La dickite remplace la kaolinite à une profondeur d'enfouissement de l'ordre de 3100-3200 m et pour de températures > 110-130°C.59 Géologie des argiles Chapitre 3 Classification
Figure 3.4 – Minéraux 1/1 : Polytypes (Manning, 1995).
Table 3.2 – Classification des minéraux argileux 1/1 (Caillière et al., 1982).
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- Halloysite
Ce minéral se forme par altération de la kaolinite, suite à l'addition de couches d'eau entre les feuillets (Fig. 3.5). L'espace basal augmente en conséquence. Ce minéral se présente sous forme de spirale. Après chauffage, l'halloysite se déshydrate irréversiblement en kaolinite.
Figure 3.5a – Formation de l'halloysite (Manning, 1995).
Figure 3.5b – Formation de l'halloysite (Manning , 1995).
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Minéraux 2/1
La structure est composée de 2 couches tétraédriques et une couche octaédrique, avec la seconde couche T renversée par rapport à la première. L'espace basal caractérise est de 10A.
Le minéral représentatif de ce groupe est la muscovite. Ce minéral s'apparente à la phlogopite mais présente des substitutions tétraédriques: Si est remplacé par Al et le déficit de charge est compensé par l'introduction de K+ dans l'interfoliaire.
Figure 3.6a – Exemple de minéral à structure 2/1 : muscovite (Eslinger & Peaver, 1988).
Figure 3.6b – Exemple de minéral à structure 2/1 : muscovite (White, 1999)
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Les minéraux 2/1 de type dioctaédriques regroupent différentes séries: micas dioctaédriques, vermiculites et smectites. La classification est résumée dans le
tableau 3.3.Table 3.3 – Classification des minéraux argileux 2/1 dioctaédriques (Caillière et al., 1982).
- Groupe des micas
Le groupe des micas dioctaédriques peut être représenté dans un diagramme ternaire (
Fig. 3.7) entre pyrophyllites (pas de substitution), céladonites (substitutions octaédriques) et muscovites (substitutions tétraédriques).Figure 3.7 – Classification des minéraux argileux 2/1 dioctaédriques (Eslinger & Peaver, 1988).
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Table 3.4 – Classification des minéraux argileux 2/1 trioctaédriques ( Caillière et al., 1982).
Les micas trioctaédriques sont reliés de part leur structure au talc (
Tab. 3.4). Ils incluent des minéraux comme la phlogopite et la biotite et quelques espèces plus exotiques comprennent du Mn, Zn, Ni, Li dans l'octaèdre. Il s'agit de minéraux peu importants en tant que minéraux argileux.- Groupe des vermiculites
Les vermiculites se caractérisent par la présence de cations hydratés dans l'espace interfoliaire
(Fig. 3.8). Ils ont une charge (x) comprise entre 0.6 et 0.9, plus faible que les micas (x = 1) mais plus élevée que les smectites (x = 0.2-0.6). Le complexe interfoliaire comprend généralement des cations Mg ou Ca et 2 couches de molécules d'eau. Les vermiculites dioctaédriques résultent généralement de l'altération des micas (illite ou muscovite) et sont abondantes dans les sols. Les vermiculites trioctaédriques sont plutôt issues de l'altération des chlorites ou néoformées. Notons que l'identification par DRX des vermiculites est difficile car elle présente un espace basal variable, fonction du cation interfoliaire. Dans la cas le plus courant (Mg interfoliaire), les vermiculites ne sont pas sensibles à la solvatation. Il est donc conseille de saturer au préalable les vermiculites par du MgCl2 afin de leur donner un caractère Mg plus stable.64 Géologie des argiles Chapitre 3 Classification
Figure 3.8 – Représentation d'une vermiculite (White, 1999).
- Groupe des smectites
Il s'agit du groupe le plus diversifié des minéraux 2/1, le seul à être uniquement présent dans la fraction fine des roches (
Tab. 3.5). Comme les vermiculites, les smectites se cractérisent par la présence d'eau interfolaire (Fig. 3.9) mais avec une charge cationique plus faible (x = 0.2-0.6). La variation de composition du groupe des smectites est liée à la présence de différents cations échangeables, faiblement retenus étant donné la faible charge cationique (Tab. 3.6). Les smectites comprenant des cations divalents Mg ou Ca contiennent 2 couches d'eau dans l'interfoliaire (espace basal = 14-15 A). Par contre, les smectites avec des cations monovalents comme le Na ne contiennent qu'une seule couche d'eau (d = 12).Table 3.5 – Types de smectites (Clauer & Chauduri, 1995).
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Table 3.6 – Composition des smectites (Manning, 1995).
Figure 3.9 – Représentation d'une smectite (White, 1999).
Il existe 2 sous-groupes: les smectites trioctaédriques ou saponites et les smectites dioctaédriques ou montmorillonites
s.l.Les saponites sont reliées au talc par leur structure et composition. Elles sont présentes dans les lacs en contexte évaporitique ou dans les bassins marins, formées par altération de basaltes océaniques.
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Les smectites dioctaédriques sont reliées à la pyrophyllites par leur structure et leur composition. Les montmorillonites s.l. se divisent en 2 membres liés par une solution solide +/- complète, entre les montmorillonites s.s. (substitutions octaéderiques -
(Tab. 3.7a) et les beidellites (substitutions tétraédriques - (Tab. 3.7b). Les nontronites constituent le pôle beidellitique riche en Fe. Notons que le terme de bentonite est utilisé en géologie économique pour désigner un dépôt de montmorillonite exploitable commercialement. Par contre, en géologie sédimentaire, les bentonites désignent un niveau particulier formé par altération de cendres volcaniques, constitué d'un assemblage de montmorillonite, kaolinite, minéraux interstratifiés et zéolites.Table 3.7a – Exemples de composition chimique de smectites naturelles : Montmorillonites (Weaver, 1989).
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Table 3.7b – Exemples de composition chimique de smectites naturelles : Beidellites (Weaver, 1989).
- Groupe des chlorites
L'espace interfoliaire des chlorites est occupé par un feuillet d'hydroxydes chargé positivement, à structure de brucite ou de gibbsite (
Fig. 3.10). L'espace basal caractéristique atteint 14A. Les chlorites sont stables à haute température. Leur stabilité thermique accrue par rapport aux vermiculites s'explique par la liaison forte existant entre les hydroxyles.Figure 3.10 – représentation de la chlorite (White, 1999).
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Les chlorites présentent des chimie complexes suite aux nombreuses substitutions. Leur composition ressemble à celle des serpentines mais leur structure est complètement différente. Leurs origines sont variées (héritées de roches métamorphiques, altération hydrothermale,...). Les variétés dioctaédriques (e.g., sudoïtes) sont assez rares.
Minéraux à pseudo-feuillets
Les argiles fibreuses se caractérisent pas des feuillets argileux discontinus
(Fig. 3.11). Elles présentent une structure de base en ruban de type 2/1, proche du talc en composition mais avec une structure en chaînes comme dans les pyroxènes ou les amphiboles. Les tétraèdres sont reliés entre les chaînes. L'oxygène apical pointe alternativement vers le haut ou le bas dans les rubans adjacents. Les feuillets tétraédriques sont continus, les feuillets octaédriques discontinus. Il y a de larges espaces entre les chaînes qui sont remplis d'eau (liée ou non, i.e., eau zéolitique) et de cations échangeables. la structure en ruban confère à l'argile un aspect en lattes ou en fibres. La sépiolite comporte essentiellement le Mg comme cation échangeable, rarement le Na. la palygorskite (ou attapulgite) est plus riche en Al que la sépiolite.Figure 3.11 – Argiles fibreuses (Chamley, 1989).
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Synthèse
Chaque groupe minéralogique se caractérise par une structure particulière en couches avec divers matériel remplissant l'espace interfoliaire (
Fig. 3.12). Par conséquent, les réflections basales identifiées par DRX donne une indication du minéral présent dans l'échantillon. Les trois structures principales sont:- les minéraux T/O ou 1/1 avec un espace basal de 7A (kaolinite);
- les minéraux T/O/T ou 2/1 avec un espace basal de
- 9.5 A pour le talc et la pyrophyllites;
- 10 A pour l'illite et l'halloysite;
- 10.4 A pour la palygorskite;
- 12 A pour la sépiolite;
- 14 à 15 A pour les smectites et les vermiculites;
- les minéraux T/O/T/O ou 2/1/1 avec un espace basal de 14A (chlorite).
Figure 3.12a – Familles argileuses (Moore & Reynolds, 1989).
Figure 3.12b – familles argileuses (Holtzapfell, 1985).
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Les
tableaux 3.9a et b reprennent une classification complète des familles argileuses, incluant les minéraux amorphes, les minéraux présentant des feuillets discontinus ou pseudo-feuillets (argiles fibreuses), les interstratifiés.Table 3.9a – Classification générale des minéraux argileux (Caillière et al., 1982).
Table 3.9b – Classification générale des minéraux argileux (Miller & Gardner, 1998).
71 Géologie des argiles Chapitre 3 Classification
B. Classification des minéraux argileux interstratifiés
Introduction
Les minéraux interstratifiés se caractérisent par la superposition, selon un empilement vertical, de 2 (ou plus) types de couches. Il ne s'agit pas d'un simple mélange physique des différents composés mais d'un minéral à part entière. L'interstratification est due (1) aux liaisons fortes dans les couches individuelles mais faible entre les couches; (2) à la configuration proche de toutes les couches avec l'oxygène pointant vers l'extérieur. Il s'agit de minéraux très courant en milieu naturel (
Tab. 3.10), souvent négligés car difficile à détecter et à quantifier par DRX.Table 3.10a – Minéraux interstratifiés observés en milieu naturel (Thorez, 1986).
72 Géologie des argiles Chapitre 3 Classification
Table 3.10b – Minéraux interstratifiés à 2 ou 3 composants (Eslinger & Peaver, 1988).
Figure 3.13 – Minéraux interstratifiés (Velde, 1995).
73 Géologie des argiles Chapitre 3 Classification
Les critères de classification sont fonction du type de couches impliquées (I, C, S,..); du pourcentage de chaque couche et de la séquence verticale d'empilement (régulier ou non). La figure
3.13 donne quelques exemples d'empilement.Concept de particules fondamentales
La mesure par TEM et HRTEM de l'épaisseur des particules argileuses a démontré qu'il existait un lien entre le pourcentage de feuillets illitiques dans un interstratifié illite-smectite et l'épaisseur des particules. En 1984, Nadeau a introduit le concept de " particules fondamentales " (
Fig. 3.14a).KKK
Figure 3.14a – Notion de particules élémentaires (Eslinger & Peaver, 1988).
Les interstratifiés seraient composés d'unités ou particules fondamentales avec des espaces gonflants. Trois types de particules sont ainsi définies:
- les smectites caractérisées par un espace basal de 10A (minéral 2/1););
- les illites avec un espace double de 20A (minéral 2/1 avec du K dans l'interfoliaire;
- les chorites avec un espace de 24A (minéral 2/1 + 1 couche octaédrique). Selon ce concept, chaque particule élémentaire est entourée d'une couche de molécules d'eau. Cette couche au sein d'un agrégat orienté se comporte comme un interfoliaire smectitique. Ainsi la particule élémentaire d'illite serait le plus fin cristal possible d'illite. Dans un agrégat, la partie central aura un comportement d'illite et l'extérieur se comportera comme une smectite. Par exemple, un interstratifié irrégulier illite-smectite serait composé d'un mélange de particules élémentaires d'illite (20A) et de smectite (10A) avec une superposition possible de plusieurs couches de smectites
(Fig. 3.14b). Par contre lorsqu'il n'y a pas de particules de74 Géologie des argiles Chapitre 3 Classification
smectites mais uniquement des illites de 20A ou plus
(Fig. 3.14c), l'interstratifié sera régulier (R = 1). La discussion concernant le concept de particules fondamentales et de diffraction interparticulaire ne suggère pas les minéraux interstratifiés sont des mélanges physiques ou des artefacts de préparation. Nadeau définit les interstratifiés comme des agrégats de particules plutôt que comme des cristaux isolés car toutes les réflections (hkl) ne sont pas présentes dans les spectres de diffraction.Figure 3.14b – Notion de particules élémentaires (Eslinger & Peaver, 1988).
Figure 3.14c – Notion de particules élémentaires (Eslinger & Peaver, 1988).
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